Je découvre ce jour un livre de 2004 de Charles Joyon, aux éditions l'Harmattan.
Plusieurs pages y parlent de Vincent Jarry, et ses aventures poétiques. Les voici :
"Le cinéma-théâtre Le Berry n'aura qu'une existence
artistique en dents de scie, mais il s'y passera bien des choses originales et
intéressantes. En particulier, la venue de Vincent Jarry.
Vincent Jarry, insolite personnage mais poète.
En d'autres temps lointains, il aurait pu être un François
Villon ou un Gringoire que célébra Théodore de Banville. Vincent Jarry baroude
à travers l'Europe francophone, de cabarets en bistrots, disant ses poèmes et
vendant ses recueils de poésie. A ses débuts, en 1973, il déclamait en terrasse
de café. C'est la que je l'ai rencontré, à côté du Café-Théâtre d'Edgar, à
Montparnasse. Coiffé d'un éternel chapeau, le visage mangé par une maigre
barbe, cheveux bas sur la nuque, des yeux malicieux derrière des lunettes, il
paraît famélique et unique survivant d'une époque révolue. Il navigue,
infatigable vagabond dans son monde bien a lui, être étrange et attachant, que
l'on ne peut vraiment découvrir qu'à travers ses écrits et ses actions.
Il faudrait du temps et de la place pour narrer l'aventure
ou plutôt les pérégrinations de ce sympathique artiste créateur, marginal et
itinérant, évoluant au hasard, dans un monde parallèle. Pourtant, il lui arrive
de se fixer, surtout à Paris, son port d'attache. En 1976, il fonde avec Mouna
Aguigui, son confrère en marginalité et son maître, La Bande à part. Cette
équipe anime un temps le parvis du Centre Pompidou et produit des soirées de
poésie et de chansons dans des salles de la capitale et de la banlieue.
La Tanière de Jacques Courcier, ce moine amoureux de
musique, héberge plusieurs saisons durant, les membres de La Bande à part. En
octobre 1980, Vincent Jarry se produit sur la scène du Palais des Beaux-Arts de
Bruxelles, avec neuf autres poètes français et quarante poètes wallons, devant
trois mille personnes, de 19 heures à 6 heures du matin. Une réalisatrice de la
chaine Radio-France Culture lui demande si une chose pareille pourrait être
envisagée â Paris. Écoutons-le raconter la suite « je lui ai répondu qu'il
suffisait d'être aussi cinglé que les gens qui avaient organisé ça. Ensuite,
j'ai réalisé qu'étant moi-même cinglé, je n'avais qu'à essayer de trouver un
endroit où faire passer des poêles vivant à l'horizontal dans le temps. J'avais
l'ambition que ça ne soit pas chiant, comme il arrive trop souvent que ce le
soit. Pendant sept ans, j’ai cherché (je n'ai pas fait que ça, bien sûr) et
tout le monde me répondait "De la poésie ? Mais tu n'y penses pas !
Personne ne vient plus écouler de la poésie, c'est trop emmerdant. Et puis, il
faudrait dire les textes par les auteurs. On n'a jamais vu un poète sachant
dire ses textes. Pourtant, je gagne ma soupe, vaille que vaille, depuis 1973,
en racontant mes poèmes de droite et de gauche. Enfin, au bout de sept ans, par
l'intermédiaire de Pierre Barrouh, j'ai rencontré Christiane Leproux, la
patronne du cinéma-théâtre Le Berry-Zèbre. Elle a rigolé et elle a dit. "
Ah oui, la poésie, j'aime bien ça."
« En septembre 1987, dit Jarry, intarissable sur les détails
de cette aventure qui se poursuit encore, a été créée l'association Poèmes en
gros et demi-gros, détail à la commande, Maison Jarry et Cie fondée en 1987.
C'est le titre entier et nous avons eu du mal à le faire passer à la Préfecture
et au Journal Officiel. Et c'est comme ça que tout a commencé. Au
cinéma-théâtre Le Berry, la Compagnie Vincent Jarry organise de nombreuses
soirées et surtout des nuits entières, jusqu'au lever du jour. Il est accompagné
de copains poètes ou amateurs de poésie dite ou chantée. Il y a surtout Marie
Ordinis, Philippe Raillon et tant d'autres qui firent un bout de chemin. La
programmation est copieuse et la liste des participants est longue. Pardon a
ceux qui ne seront pas cités Jocelyne Fournier, Olivier Tanguy, J.- J. Chollet,
Pierre Frenkiel (vu souvent au café-théâtre), jean-Pierre Gérard (diseur
berrichon) dans Ot'don la paille de tes sabots, ça tient chaud aux pieds, mais
c'est plus la mode. On accueille aussi des poètes étrangers. Ainsi, en 1988,
des Latino-Américains : Juan Carlos Alonso, Lucho d'El Rio, Ivan Treskow,
Eduardo Pissa, Lucy Moreno, Doris Opina et l'Américaine Nancy Duplessis.
Les Belges et les Suisses ont porte ouverte et, parmi les
Français, on trouve Armand Oliviennes, Annette lienniger, Eric Peron. Sous le
titre significatif de Vers en vrac, on applaudit aussi Marie Geneviève
Labarrêre, chanteuse. Marie Ordinis et Vincent Jarry proposent D'un verre à
l'autre ou chacun son ver à soie.
En plus du Berry, dit Jarry, sauf d'animer des croisières de
luxe ou des charters maliens, on a tout fait. On est simultanément intervenu
dans des bistrots de quartier et ailleurs, car autant il y a des gens qui ont
peur d'ouvrir la porte d'un bistrot, autant il y en a qui craignent d'entrer
dans un théâtre. On a fait la rue aussi, on est intervenu dans des écoles.
Puis, à partir de 1988, plusieurs m'ont suivi au festival off d'Avignon.
Pendant le festival, mais aussi à d'autres périodes, au Moulin de la Galère,
magnifique squat où nous avons sévi pendant quatre ans. L'utilisation de la
scène du Berry durera sept ans, deux passages par séance, cinq fois par
semaine. Pendant une année, nous avons fait des scènes ouvertes, chaque mois au
Théâtre d'Edgar, et dans plusieurs bars et restaurants de Paris et de la
banlieue au Café de la Paix à Arcueil, à l'Oreille Cassée, au Petit Centre à
Paris. On invitait les poètes à venir dire leurs textes et les poètes venaient.
Ils étaient sur scène et ils étaient aussi dans la salle. »
Une revue qui portait le nom
de l'association fut publiée, il s'agissait d'un dépliant. En juin 1996, un
mensuel plus important fut lancé. Rue des Poètes ; il se veut le magazine de la
poésie du XXè siècle. Des poèmes, des dessins, des bandes dessinées emplissent
ses pages. Vincent Jarry y publie un feuilleton complètement poéto-surréaliste
sous le litre Des belles rencontres entre la princesse Panthère-Douce et l'Aede
le Gland. Le cheminement militant de Vincent Jarry et de ses compagnons
poursuit vaillamment sa généreuse aventure, envers et contre toutes les
difficultés, mais ailleurs qu'au cinéma-théâtre Le Berry (... / ...)(.../...) Les activités artistiques de ceux qui s'y formèrent et s'y produisirent fusent dans d'autres petites salles. Certains d'entre eux ont même conquis les grands plateaux et les écrans de cinéma et de télévision. Quant à Vincent Jarry, depuis 1997, il s'installe, avec les poètes sur une scène du Théâtre du Lucernaire mise à disposition par Christian Le Guillochet."